Publié le : 17/11/2020 18:19:34
Catégories : Interviews et témoignages
Co-allaiter, cela signifie tout simplement allaiter plus d’un enfant à la fois.
Les nourrices du temps jadis étaient les spécialistes du co-allaitement : elles nourrissaient à la fois leur propre enfant et celui d’une autre femme en échange d’un salaire.
Bien sûr, quand on pense co-allaitement, on se représente d’abord l’allaitement de jumeaux ou de triplés. Car oui, il est tout à fait possible d’allaiter en cas de grossesse multiple!
J’ai d’ailleurs récemment recueilli le témoignage de Carole, maman de deux adorables jumelles allaitées exclusivement.
→ Pour tout savoir sur l’allaitement des jumeaux, c’est par ici.
Mais on peut également co-allaiter des enfants d’âges différents.
En cas de grossesses rapprochées, il arrive fréquemment que l’aîné ne soit pas sevré au moment de la naissance du second. La maman peut alors choisir de co-allaiter les deux enfants, comme l’a fait Alice.
Elle nous raconte comment elle en est venu à co-allaiter ses deux fils, et nous livre ses découvertes sur le co-allaitement.
Alice
Fille de militaire, dernière d’une fratrie de 4, j’ai déménagé toute ma vie.
Je suis devenue maman à l’âge de 14 ans suite à un déni de grossesse de 6 mois et demi. Est donc née Emma, qui a 13ans.
J’ai ensuite fait des études en école de commerce et suis devenue chargée de recrutement de métier. Je suis en couple depuis bientôt 5 ans avec un militaire.
Nous avons eu un désir d’enfant à peine 6 mois après notre rencontre. De cette envie est né Keanui, qui aura bientôt 2ans, et nous venons d’avoir Tamatoa qui va avoir 1 mois.
J’ai finalement très peu été maîtresse de mes choix concernant ma fille, mes parents ne m’ayant pas laissé de véritable place jusqu’à ses 7 ans.
Pour mon fils Keanui, je me suis dirigée vers une maternité que j’appelle a 100% : je voulais donner 100% de moi.
Pour Tamatoa, je suis dans un modèle bien plus souple, je décide de moins m’oublier, surtout avec 3 enfants.
Alice et son histoire avec l'allaitementQuand la question "sein ou biberon" s'est-elle posée lors de ta 1ère grossesse?
Pour ma première grossesse, la question ne s’est jamais posée. On lui a donné un biberon alors que je n’étais même pas remontée de salle de réveil après la césarienne, on ne m’avait posé la question ni avant ni après.
Pour Keanui, c’est un sujet que papa a mis sur la table avant même que je sois enceinte. Moi je ne m’étais absolument jamais posé la question.
Mon compagnon m’imposant l’allaitement sans même me demander mon avis, autant dire que ça m’a donné envie de tout sauf d’allaiter!
Et puis la deuxième barre s’est affichée sur le test de grossesse et là, sans vraiment savoir pourquoi, c’était une évidence. J’allais « tout faire pour réussir à allaiter » comme je disais.
As-tu cherché des informations sur l'allaitement pendant ta grossesse?
Je me renseignais beaucoup sur Instagram : dès que je voyais des choses passer, je lisais afin d’emmagasiner un maximum d’informations.
Ce n’était pas la meilleure idée je pense mais ça m’a permis de développer un certain esprit critique sur le sujet.
Puis j’ai rencontré une super sage femme (qui est aussi consultante ibclc) très loin du jugement, vraiment dans l’information, d’abord à un rdv dont ce n’était pas le sujet, puis à une réunion d’information sur l’allaitement.
Je pense qu’elle a été le facteur d’une très forte confiance en moi, en mon corps, et en mon bébé le moment venu.
Raconte-moi la première tétée : souvenir mémorable?
Absolument pas! Je ne m’en rappelle pas, je n’ai pas de photos. En fait, elle a été tellement spontanée, naturelle, qu’elle ne m’a pas marquée plus que ça, alors que toutes les suivantes, notamment à la maternité, oui.
Comment s’est passé l’allaitement à la maternité ?
Pour Keanui, les tétées à la maternité ont été un enfer (j’exagère un peu): je suis très très sensible de la poitrine (je l’étais du moins car après 2ans d’allaitement hein..).
La succion de Keanui était vraiment très forte alors j’ai serré les dents tout le long de la tétée pendant une petite semaine puis mon corps s’est habitué.
Je ne saurais l’expliquer mais je savais au fond de mois que ce n’était pas une sensation liée à l’allaitement, à une mauvaise succion ou un problème : je savais que c’était une gêne passagère liée à moi uniquement.
Concernant l’accompagnement à la maternité, j’ai un ressenti partagé.
Pour exemple, la nuit de la Java, une première soignante m’a dit que c’était normal, alors qu’une seconde m’a presque imposé un complément car «bébé n’a pas assez avec votre lait c’est pour ça qu’il pleure ». Complément que j’ai accepté car à bout de force mais que bébé a refusé…
As-tu rencontré des difficultés pour allaiter?
Ma seule vraie difficulté a été la douleur la première semaine lors de la mise au sein mais ça n’a pas créé de crevasse ou autre.
Une autre difficulté a été la position : pendant ses premiers mois, Keanui n’a tété que allongé à côté de moi. Je devais donc toujours trouver un endroit pour le faire téter allongé. C’est un pli à prendre mais ça ne m’a pas dérangée outre mesure (je suis un peu casanière ceci dit!).
Quelles réactions de la famille et des proches à ton allaitement? As-tu déjà été interpellée dans la rue, en bien ou en mal, à propos de ton allaitement?
Ma maman nous a tous allaités mais pas longtemps.
Elle a même fait don de son lait lorsqu’elle a accouché de moi en 92 en Allemagne! C’est une anecdote qui me plaît car enfant, elle me disait toujours qu’elle avait tellement de lait qu’elle en donnait aux autres bébés. Je la prenais pour une mytho, du genre elle exagérait.
Et à la maternité pour Keanui, une femme du lactarium est venue me voir et c’est là que j’ai compris : « c’est donc ça que maman a fait à ma naissance! »
→ Tout savoir sur le don de lait
Mais c’est cette même maman qui, lorsque je suis allée la voir aux 3 mois de mon fils, m’a dit de le laisser pleurer encore et qu’il mangerait mieux s’il avait plus faim…
Choc des générations!
Je n’ai pas eu de vraies remarques qui m’ont marquée par rapport à mon allaitement. Par contre de mon côté, j’ai eu très régulièrement eu envie de faire des checks de boobs en voyant des maman allaiter lol!
Comment as-tu appréhendé le co-allaitement quand tu as appris que tu étais enceinte? Quels étaient tes questionnements?
J’ai rêvé de co-allaitement dès que j’en ai vu des images.
Je craignais terriblement que mon allaitement s’arrête avant que je tombe enceinte ou pire qu’il se stoppe à cause de la grossesse.
Mes principales questions étaient en fait sur la continuité de l’allaitement durant la grossesse mais pas du tout sur l’après, je ne me suis pas du tout renseignée sur l’après. J’en ai tellement rêvé, j’idéalisais tellement la chose que pour moi ça allait arriver!
Beaucoup de mères s’interrogent sur les conséquences possibles d’un allaitement poursuivi pendant la grossesse.
Les principales interrogations se portent sur l’impact de l’allaitement sur le développement du foetus in utero et l’éventuel risque accru de fausse couche ou d’accouchement prématuré.
Les inquiétudes des mamans sur ces deux points sont néanmoins sans fondement : tant que la mère veille à garder une alimentation équilibrée et suffisante, la poursuite de l’allaitement n’impacte en rien le développement du foetus, qui reçoit tous les nutriments nécessaires.
Plusieurs études ont par ailleurs montré que les mères qui continuent d’allaiter leur bambin pendant la grossesse n’ont pas de risque accru de fausse couche ou d’accouchement prématuré.
Il est utile de rappeler qu’avant l’invention des méthodes de contraception, il était courant de conjuguer grossesse et allaitement.
Des études ont cependant montrée de 66% des mères se trouvant en capacité de co-allaiter sevraient leur bambin pendant la grossesse suivante.
Les principales raisons évoquées pour expliquer ce sevrage?
Une préparation particulière?
Ma seule préparation a été de me dire en voyant une maman co allaiter « tiens peut être que cette fois j’aurais besoin de t-shirt d’allaitement »
As-tu ressenti des douleurs particulières au niveau des mamelons?
Oui j'ai eu des douleurs, plutôt des gènes sur la fin de grossesse mais qui arrivaient surtout quand il peinait à s'endormir au sein.
Je pense que dans mon cas l’aversion (Cf. Sentiment d’irritation expliqué ci-dessus) que je ressentais créait la gêne mais que mon envie de co-allaiter était tellement intense (et l'aversion vraiment moins forte que certains témoignages que j'ai lu), que ça a dû aider.
Cette aversion, c’est quelque chose que tu as fortement ressenti du coup? Ça se manifestait comment?
Vraiment sur la fin mais je pense que c'était beaucoup lié à la fatigue et au gros ventre qui prenait de la place, au fait que Keanui était un peu brusque et donnait des coups dans mon ventre.
Mais l'aversion intense qu'ont connue certaines mamans, je n'ai pas été concernée.
Et je l'aurais vraiment très mal vécu, Keanui a encore tellement besoin du sein!
As-tu observé une baisse de lactation au cours de ta grossesse?
Moi je n'ai pas remarqué de baisse de lactation, mais j'ai tendance à dire que Keanui est tellement accro au sein qu'il n’en aurait rien eu à faire si ça avait été le cas!
Avais-tu discuté du co-allaitement avec ton conjoint?
Non, tout comme moi il était emballé par l'idée du co-allaitement et surtout je crois qu'il a été complètement dépassé par la pro allaitement que je suis devenue après avoir commencé! Donc il n’a même pas eu à dire ce qu'il en pensait.
Mais je pense que cette envie de co-allaitement l'arrangeait car il souhaitait des bébés rapprochés.
Comment as-tu gérer ton séjour à la maternité pour ton grand?
Mon grand n’avait jamais passé une seule nuit sans moi en 23 mois, ça a été ma grande culpabilité de fin de grossesse. Par chance, malgré la situation sanitaire (COVID-19), il a pu venir à tout moment alors que les horaires fratrie étaient seulement de 16h à 19h.
Ça amusait beaucoup les soignantes qui disaient qu’il venait prendre son petit dej!
Il est venu 2 fois par jour durant le séjour et, hormis le premier soir, il avait les câlins de papa pour palier au manque du sein.
As-tu constaté que Keanui tétait plus souvent que d’habitude dans les premières semaines?
Oh oui! Les 2 premières semaines il était accroché au sein sans cesse. Je ne saurais te dire si c'est lié à la séparation de 4 jours ou au changement de lait ceci dit.
Il est fréquent que le bambin réclame le sein de manière intensive dans les semaines qui suivent la naissance du bébé.
Il arrive même qu’un enfant sevré depuis plusieurs mois demande à téter de nouveau!
Les psychologues s’accordent à penser que c’est une façon pour lui de s’assurer que le bébé ne va pas prendre sa place, et également de se rassurer face à cette situation inédite.
Tes impressions, tes questionnements, tes découvertes pendant ces premières semaines de co-allaitement?
Elles sont tellement nombreuses : zéro préparation, zéro attentes, zéro information, ça a donné un effet assez explosif de me dire « mais m**** c’est super galère d’allaiter 2 enfants d’âges si différents » !
J’ai découvert que quand le grand tête, le petit perd le sein.
Cela peut s’expliquer par des réflexes d’éjection plus intenses. En effet, l’éjection du lait est lié à la production d’une hormone appelée ocytocine, elle-même dépendante de la stimulation des mamelons. La double stimulation engendrée par le co-allaitement, conjuguée au fait que la succion du bambin est considérablement plus efficace que celle du nouveau-né, provoque une éjection rapide du lait, qui peut surprendre le nourrisson.
J’ai aussi remarqué que l’adaptation entre chaque bébé quand il prend le sein que son frère avait pris avant ne se fait pas sans mal. je vois même parfois des froncements de sourcils, oui oui je vois sur leur visage qu’ils ne sont pas fans. Dans ces cas-là, soit ils attendent que leur lait arrive, soit ils rejettent carrément le sein!
J’ai également noté que les selles du grand se modifient car justement il a un peu du lait de son frère.
En effet durant les premières semaines, le lait maternel contient notamment des substances à effet laxatif, pour faciliter l’expulsion du méconium (excrément accumulé dans les intestins du foetus durant la grossesse qui constitue les premières selles du nouveau-né, pendant les premiers jours qui suivent la naissance.)
J’ai constaté que mon fils déjà bien grand et gros a eu une poussée de croissance fulgurante les 2 premières semaines.
Le colostrum, premier lait produit par la mère en fin de grossesse et jusqu’à quelques jours après l’accouchement est plus riche et plus concentré que le lait maternel « mature ». Il contient notamment 2,5 fois plus de protéines et de nombreux facteurs de croissance, qui aide bébé à bien grandir.
Sa consommation par un enfant déjà grand peut donc avoir un impact significatif sur son développement.
NB : Des études ont montré que la proportion de colostrum dans le lait reste plus élevée plus longtemps pendant un co-allaitement, sans doute pour permettre au nourrisson de recevoir autant de ces nutriments que si il n’avait pas à partager!
J’ai découvert avec étonnement que mon grand, exclusif sur le sein depuis 23 mois, n’a eu aucun souci à partager, jusqu’à attendre son tour en pleine nuit en nous faisant des papouilles à son frère ou à moi.
J’ai découvert enfin que l’allaitement à la demande d’un enfant fait que tu ne dors pas quand tu veux, mais que le co-allaitement fait que tu ne dors pas quand tu veux même lorsque tu pourrais lol. Eh oui, car mon grand même s’il mange depuis ses 6 mois est toujours sur un allaitement à la demande!
Tu écris que Tamatoa perd le sein quand son frère tête en même temps, du coup j’imagine que tu évites les tétées simultanées?
Je les évite autant que possible mais après un mois j'arrive à en faire de temps en temps si vraiment chacun est bien posé (moi y compris).
Sinon, c'est au 1er qui demande.
La nuit Keanui a beaucoup de patience lorsque je suis occupée avec son frère et j'avoue que c'est souvent bien sûr Tamatoa que je priorise, Keanui étant diversifié.
Et si c’était à refaire?
C’est une expérience vraiment particulière, mais pour la fatigue que ça engendre je ne sais pas si je referais pareil.
Peut être sevrer le grand en nocturne avant, voire même réduire les tétées en journée?
Je prends plaisir à allaiter mes deux enfants, et je ne suis pas prête à voir se finir notre allaitement avec mon grand, mais avec la fatigue le sevrage me traverse régulièrement l’esprit. À bientôt 1 mois du 2ème, je n’y suis pas encore et j’ai espoir que plus il grandira plus les choses seront aisées et que me sortira de la tête cette idée de sevrage…
Question bonus : un/des livre(s), un/des site(s) internet, une/des autre(s) source(s) à conseiller pour s’informer sur l’allaitement?
Je ne les ai pas lu moi-même mais je sais que les livres de Caroline Guillot @tt.en.tt sont des mines d’or.
Mon secret à moi, c’est d’avoir une super consultant IBCLC et des copines physiques et virtuelles de bons conseils, sans pour autant se penser incollables, et qui ne me jugent pas.